Dimanche dernier j’ai participé, du mieux que j’ai pu, à la grande messe en l’honneur de la police nationale organisée par le Cardinal Michel Drucker. Hé oui ! En ces temps troubles et angoissants la police française devient une valeur forte de la république et à défaut d’avoir en nous quelque chose de Tennessee, voilà qu’on a tous en nous quelque chose de la police…
Or ce fut la totale : papy Drucker en sauveteur de haute montagne, Dany Boon en train de nettoyer les chiottes du Raid, Richard Berry en ambassadeur traqué crachant ses rochers d’or Ferrero mais sauvé et hélitreuillé par le GIGN, Daniel Auteuil qui se verrait bien encore à 65 ans dans le rôle d’un flic sur le retour se sentait déjà dans un remake de Navarro ou des Cinq dernières minutes (sic !)… Tous les flics cagoulés comme dans un clip de Michael Young, ou bien visages découverts étaient là sur le plateau… Bref le jour rêvé pour une attaque terroriste ! Il y avait même Shym qui devant cette mâle assistance n’avait pas osé enfiler sa tenue « presqu’à poil » comme dans tant d’autres émissions de télé-variétés… Quand Drucker a précisé que tous les artistes présents étaient fort appréciés per les forces de l’ordre ce fut du délire : il y avait là Calogero, M Pokora, Angun, Thomas Dutronc… Quelle originalité ! Nous découvrions avec stupeur que les flics ont les mêmes goûts formatés que la plupart des téléspectateurs !
Si je me retrouve en garde à vue il suffira aux policiers, plutôt que de m’attacher à poil à un radiateur en me bourrant le pif avec un Bottin, de me passer en boucle les chanteurs susnommés, pour me faire avouer que c’est moi qui ai cassé le vase de Soissons.
Pour ma part le clou (dans le pied !) de cette amère démonstration fut le dandy dandinant Thomas Dutronc fils de professionnel. Dans un magazine de guitare celui-ci expliquait récemment qu’il avait découvert un merveilleux texte de Louis Aragon intitulé « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » et que, subjugué par la beauté de l’œuvre, il en avait fait une chanson… Et donc de nous l’infliger aussitôt lors de l’émission de Drucker. Alors là c’est pas Dutronc, c’est Dugland ! Ce grand benêt a quand même 42 balais et malgré son aspect juvénile il est loin d’être un perdreau de l’année. Je veux bien que, comme beaucoup d’artistes, il soit persuadé d’avoir tout inventé et qu’il n’y a donc aucun intérêt à écouter ce qui s’est fait avant. Je veux bien que Dutronc junior considère Léo Ferré comme un artiste mineur, ringard et particulièrement chiant. Ne parlons pas de Catherine Sauvage ou de Marc Ogeret… Mais j’ai peine à croire que ce mal entendant ne soit pas tombé un jour ou l’autre sur l’interprétation de Bernard Lavilliers… Cela s’apparente à de l’ignorance crasse et au plus grand désintérêt pour tout ce qui concerne la chanson. La tête, les bras et les jambes m’en tombent. Appelez-moi Dutronc !
Et s’il n’y avait que cela. Le plus insupportable finalement est que sa chanson est une grosse daube sans aucune originalité, avec une mélodie simpliste et même simplette. Comme le disait Jean-Pierre Koff : « Mais c’est de la merde ! »
Et voilà donc un type, excellent guitariste de jazz manouche, qui se rend compte, comme le fit Sacha Distel 60 ans plus tôt, que le jazz ne nourrit pas vraiment son guitariste, alors que la chanson peut être un pactole. Voilà un type « découvrant » un texte déjà mis en couleurs (comme disait Aragon) et chanté par tous les grands interprètes et qui trouve le moyen d’en faire une purge indigeste.
Par pitié ne lui dites pas que l’œuvre poétique d’Aragon fait 15 volumes superbes et que près de 100 compositeurs se sont déjà emparés des textes du poète, ne lui dites pas qu’un certain Victor Hugo en a fait tout autant près d’un siècle avant… Imaginez « Que serai-je sans toi ? » ou « La légende de la nonne » passés au filtre des « découvertes » dutronciennes. Vu le résultat de son premier aveu je ferais mieux de lui envoyer la liste de mes courses ce serait plus à sa portée.
J’espère de tout cœur que ce message lui parviendra.