LE VIN DES POETES (Episode 3)

Puisqu’il faut tout vous dire…

[audio:http://www.actechanson.fr/wp-content/upload/Michel-Guéry-Les-verres-de-lamitié.mp3|titles=Michel Guéry Les verres de l’amitié]

INTRODUCTION

Seule dans le règne végétal,

la vigne nous rend intelligible ce qu’est

 la véritable saveur de la terre.

Colette

(Prisons et paradis)

N’est-il pas merveilleux de pouvoir aussi facilement que je le fais ici proclamer son amour du vin ? Et ce, quels que soient les interdits absurdes attachés de plus en plus à sa consommation ?… Or je dis bien « amour » – pas seulement le goût du vin – pour nous tous qui n’hésitons pas par exemple à passer plus ou moins régulièrement quelques heures de nos vies à nous rendre, sans autre addiction que le plaisir de la découverte, dans des domaines isolés, toujours un peu mystérieux au fond de leur campagne, et là, dans la lumière indirecte totalement complice d’une sorte d’oubliette magique, un caveau, aligner quelques verres sur le bord d’une table, verres aussitôt remplis, vidés et re-remplis après l’épreuve quasi professionnelle et déjà recommencée, de l’œil, du nez, du goût, ramenés à leurs vertus essentielles dans la quête assumée du plaisir… Les bruits eux-mêmes : tintements, chocs, gloussements liquides, participent à cet hallali où le corps et l’âme, simultanément, se réchauffent et triomphent…

Et n’est-il pas merveilleux que l’on puisse, même moins facilement, proclamer aussi son amour de la littérature du vin ?… Ô tous ces livres à couverture de cuir ou chatoyants de couleurs et d’images, ces pages, cent fois peut-être caressées, feuilletées, parcourues de long en large pour un poème qui vous laisse pantelant d’émotion ou de rire, un texte d’une profondeur abyssale pour mieux comprendre nos existences, nos désirs, nos forces et nos faiblesses face à la nature ou au temps… Ici un peu d’histoire, là beaucoup de rêve, le bateau tonitruant de l’ivresse et de ses éclats de vie, puis le regard silencieux du philosophe agenouillé à terre et qui laisse glisser entre ses doigts le trésor imagé des futures récoltes… Des centaines de pages et de livres tendrement repliés sur nos cœurs.           

 C’est de ce double émerveillement, pour l’amour du vin et sa littérature, qu’est né (du moins je m’en suis persuadé) le Cabaret du Vin.

Dans une autre vie, il est vrai que je fus aussi œnologue, et bien déçu d’ailleurs par ce métier technique ne laissant place à aucune rêverie, et dont on ne me fit découvrir que les vicissitudes : les analyses à la chaîne sur la paillasse des labos, les relations vite inamicales (en tout cas incomprises de part et d’autre sans doute) quand les ressources – sous la dictature grinçante du degré-hecto – étaient en jeu : salaires et/ou revenus… Oui ! j’ai été œnologue et je n’en retiens presque rien finalement du vin lui-même, celui-là même auquel pourtant j’ai contribué sans que cela me marque autrement, ici que par les tonnes de sucre en poudre que j’ai mêlés aux moûts d’une SICA corse, là par les concours féroces – et rarement joyeux en vérité – auxquels mesurer un degré ou une acidité volatile donnaient lieu sur le coin d’une paillasse coopérative.

Foin des cuves en folie d’où jaillit la musique effrénée des fermentations, du long silence des couloirs de la cave au bout des premiers froids, du ballet pataugeant des manches et des pressoirs, des éclats de voix si humains au bout des passions contrariées… J’ai conscience soudain d’avoir eu bien de la chance d’avoir vu naître et s’imposer ces émerveillements dont je parlais tout à l’heure… Et que dire encore de ces jours, de ces heures passées aux côtés de ceux qui se battaient pour éviter de mourir, de disparaître sur l’autel des exigences européennes profitant de leur éloignement pour proférer d’absurdes et scandaleux diktats, sans le moindre souci des hommes, de leur histoire, de leur culture, de leur travail, de leur vie, tant il est vrai que c’est tout cela qui fut en jeu à l’extrême fin des luttes et que je découvris, humble journaliste localier pourtant, aux côtés des grands leaders d’une époque. Oui ! aujourd’hui la viticulture languedocienne est devenue une sorte d’épiphénomène dans les soubresauts d’une bourgeoisie en crise, …, et je sais, plus que jamais, que j’ai eu bien de la chance d’avoir su y découvrir malgré tout le Plaisir répandu sur toute la surface d’une langue ou d’un palais, le Bonheur au coin de l’œil ou dans les méandres du nez, la Passion dans la poussière d’un livre brillant au soleil d’été.

En vérité, j’aime tellement tout ça et ce que l’on en dit, que j’ai voulu le partager.

 Le Cabaret du Vin est donc aussi devenu un spectacle qui a une histoire, et je me souviens avec beaucoup d’émotion de cette première fois où, embauché par l’Office d’Action Culturelle du département de l’Hérault, je découvris devant moi la grande salle du Mas de Saporta – siège vivant des Coteaux du Languedoc – et son public, attentif et connaisseur… Je me souviens d’une chanson de Georges Brassens et de mes premiers calligrammes partagés… En solitaire j’eus la chance de participer alors bien des fois – dive bouteille trônant bien en vue sur mes bagages d’artiste – aux programmations des « Primeurs d’Hérault Primeurs d’automne » mis en place par le département et qui, en ces temps reniés, portaient la rencontre artistique jusques dans les plus petits villages.

Ai-je besoin de parcourir encore cette géographie intime qui me conduisit en effet de village en village, certains en appelant aussitôt d’autres qui m’ouvraient grand leurs portes le temps d’une soirée, d’un goûter, ou d’un vin nouveau à peine soutiré et déjà mis en bouteille pour prétendre à la fête ? … Et puis un jour il y eut cette tentative – c’était à Montpellier, au Sax’Aphone de Jean-Pierre Lesigne – de réunir la plupart des auteurs-compositeurs de la région ayant écrit sur le thème du vin.      Il y eut alors un disque et, très vite, un « vrai » spectacle que je voulais collectif, multiple, vibrant de ces maintes sensibilités une fois déjà réunies, mais qui sombra tout aussi vite dans le chaos des caractères, des envies et des contradictions des uns et des autres. Une formule à quatre fut présentée avec succès au festival d’Avignon en juillet 2001 mais se perdit, la fête à peine terminée.

 Aujourd’hui cependant, plus que jamais le Cabaret du Vin existe, sous deux formes : l’une solo que j’appelle « La dive bouteille » en hommage bien sûr à François Rabelais, l’autre, avec l’ami Gilbert Maurin, nos deux voix et nos deux guitares et qui nous a conduits un peu partout en France. Je crois pouvoir affirmer, au bout d’une expérience désormais acquise de plusieurs années, que nous nous y plaisons sans réticence et que le public aussi s’y trouve bien… J’espère en vérité que ce livre – ce « Vin des poètes » ainsi autrement baptisé comme peut l’être une cuvée nouvelle – permettra à ce public qui est celui de l’Art et de la Culture, c’est-à-dire de la curiosité et de l’ouverture, d’en retrouver l’éternelle substance, celle de la vigne, du vin et de l’humanité qu’ils ont portée dans les bouteilles comme dans les livres, et donc dans la vie.

                                Jacques Palliès (le 22 juin 2009)

(à suivre)

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