J’ai appris récemment que Léo Ferré pouvait faire peur, très peur : le chanteur Dimoné a avoué que lorsqu’il était enfant, il avait les jetons en voyant cet artiste. Je dois admettre qu’outre le fait que ses parents avaient dû lui dire en le menaçant : « Dimoné mange ta bonne soupe ou le vilain Monsieur au crâne dégarni et aux longs cheveux filasses t’emportera dans son piano à queue ! », Léo Ferré était quelqu’un d’effrayant, même pour moi. Pas physiquement, bien sûr, car il ressemblait à Juju le photographe qui venait faire la photo annuelle des classes quand j’étais enfant au début des années soixante, non Léo Ferré était impressionnant par son talent, c’est cela qui faisait peur.
Sur scène, il était sur le fil du rasoir dans son interprétation et là il n’y avait que deux solutions : soit tu es dans le sublime, l’émotionnel, et tu es Léo Ferré ; soit tu te vautres et tu es dans le ridicule, tu es Francis Lalanne. Dans la chanson, Léo Ferré a tout fait : raconté les premières blagues sur les blondes (cf. Le Scaphandrier), fait du slam, dirigé des orchestres symphoniques, fait de la pop music avec le groupe Zoo, cartonné avec un slow d’enfer (Je me souviens en 69 année ô combien érotique avoir tenté d’emballer une allemande sur « C’est extra »…) Léo Ferré a mis tous les poètes – ou presque – en musique : Rimbaud lui expédiait ses textes d’Abyssinie, Verlaine de prison, Baudelaire du cabaret avec des taches d’absinthe sur les feuilles et Apollinaire lui envoyait ses œuvres depuis le Front… Il nous a aussi fait découvrir René Baer, Luc Bérimont, Pierre Seghers et surtout Jean-Roger Caussimon.
Bien que monégasque, Léo Ferré n’était pas Johnny et il ne s’est pas réfugié dans un paradis fiscal, il est allé officialiser ses amours ancillaires en Italie, où la camarde lui fit un pied de nez et un croc en jambe en le faisant décéder un quatorze juillet, jour où les graines d’ananar restent dans leur lit douillet.
Je terminerai en disant comme Bourvil : l’alcool non mais Léo Ferré (gineuse) oui !