LE VIN DES POETES – Episode 14 : Un grand voyage en poésie (4)

… des Cévennes à la Belgique, de Colette à Alfred de Musset.

JEAN CEVENOL

C’est par un mystère que nous poursuivons notre voyage : qui se cache derrière le nom de Jean Cévenol ? Son poème Hymne au vin pur figure dans toutes les anthologies poétiques consacrées au vin, mais on ne sait rien d’autre et internet reste muet… Alors j’y vais de ma proposition personnelle : et si, derrière le masque, il y avait un Jean Carrière, ou un Jean-Pierre Chabrol ? J’avoue que je verrais bien L’épervier de Maheux à l’origine de ce très beau poème que j’ai mis en musique il y a déjà plusieurs années.

[audio:http://www.actechanson.fr/wp-content/upload/09-Hymne-au-vin-pur.mp3|titles=09-Hymne au vin pur] 

HYMNE AU VIN PUR

Bois du vin pur ! Du vin de feu ! Du vin qui rit !

Et qu’un cep merveilleux enlace ton esprit !

Car cette terre, d’où cette vigne s’élance,

Un jour t’engloutira dans l’éternel silence !

 

Bois du vin rouge ou blanc ! Sa vivante couleur

Te mettra dans le sang la magique chaleur

Qui fait monter l’amour à ton cœur solitaire !

Bois du vin pétillant qui fait bondir ton verre !

 

Bois le vin du bonheur, et le vin de l’oubli

Et quand l’automne d’or, sur le jardin pâli,

Tend son brocart divin où le ciel se prolonge,

Bois le vin du désir et bois le vin du songe !

 

Virgile, et Rabelais, et Ronsard, et Mistral,

Buvaient sans lésiner et sans penser à mal !

Et je songe à Laforgue, à Corbières, à Verlaine

Qui dans l’absinthe bleue, hélas, noyaient leur peine !

 

Bois le sang du soleil ! C’est le sang de l’amour !

C’est la pourpre du soir ou l’or tremblant du jour !

Une fille enivrante éclose au fond d’un rêve !

La blondeur d’une grappe, et Vénus qui se lève !

 

GEO NORGE

Geo Norge est un poète belge de la deuxième moitié du 20ème siècle aujourd’hui reconnu comme un poète majeur.

Pierre Seghers qui a contribué à la connaissance de son œuvre, disait de lui qu’il était : gouleyant, interférentiel, fricassant, ayant du punch et le faisant brûler, inquiétant bien sûr, comme tous les tendres qui sont d’affreux cruels (et vice-versa), maître es-langage de la composition au contrepoint, de la matière au boyau de chat sous l’archet, il invente, non pas en virtuose (ce qu’il est) mais en magicien. Ah ! On ne s’ennuie jamais avec Norge, qui pose cependant les questions les plus graves…

 

DU TEMPS… 

Dans l’eau du temps qui coule à petit bruit,

Dans l’air du temps qui souffle à petit vent,

Dans l’eau du temps qui parle à petits mots

Et sourdement touche l’herbe et le sable ;

Dans l’eau du temps qui traverse les marbres,

Usant au front le rêve des statues,

Dans  l’eau du temps qui muse au lourd jardin,

Le vent du temps qui fuse au lourd feuillage

Dans l’air du temps qui ruse aux quatre vents,

Et qui jamais ne pose son envol,

Dans l’air du temps qui pousse un hurlement

Puis va baiser les flores de la vague,

Dans l’eau du temps qui retourne à la mer,

Dans l’air du temps qui n’a point de maison,

Dans l’eau, dans l’air, dans la changeante humeur

Du temps, du temps sans heure et sans visage,

J’aurais vécu à profonde saveur,

Cherchant un peu de terre sous mes pieds,

J’aurais vécu à profondes gorgées,

Buvant le temps, buvant tout l’air du temps

Et tout le vin qui coule dans le temps.

Il faut également lire de Géo Norge le recueil Le Vin profond où le poète, en phrases amples, célèbre sa bien-aimée 

… Elle est ma grappe, elle est ma vigne, et dans le sommeil du cellier, elle est mon vin profond.

 

COLETTE

Les femmes occupent une place de plus en plus importante et assumée dans le domaine du vin : productrice, consommatrice, œnologue, communicante,.., elles sont aussi de plus en plus présentes dans la littérature du vin.

On nous permettra de saluer ici cette présence en rendant hommage à celle qui fut une des pionnières en la matière, Colette qui, de son propre aveu, découvrit le vin à l’âge de trois ans… pour ne plus jamais le quitter. C’était un vin mordoré : le muscat de Frontignan.

 

LE VIN DES FEMMES ?

Ecoutez la voix de Colette…

La vigne et le vin sont de grands mystères. Seule, dans le règne végétal, le vigne nous rend intelligible ce qu’est la véritable saveur de la terre.. Quelle fidélité dans la traduction ! Elle ressent, exprime par la grappe les secrets du sol. Le silex, par elle, nous fait connaître qu’il est vivant, fusible, nourricier. La craie ingrate pleure, en vin, des larmes d’or. Un plant de vigne, transporté par-delà les monts et les mers, lutte pour garder sa personnalité et parfois triomphe des puissantes chimies minérales. Récolté près d’Alger, un vin blanc se souvient ponctuellement, depuis des années, du noble greffon bordelais qui le sucra juste assez, l’allégea et le rendit gai. Et c’est Xérès lointaine qui colore, échauffe le vin liquoreux et sec qui mûrit à Château-Chalon, au faîte d’un étroit plateau rocheux.

De la grappe brandie par le cep tourmenté, lourde d’agate transparente, ou bleue et poudrée d’argent, l’œil remonte jusqu ‘au bois dénudé, serpent ligneux coincé entre deux rocs : de quoi donc s’alimente, par exemple, ce plant méridional qui ignore la pluie, qu’un chanvre de racines retient seul suspendu ? La rosée des nuits, le soleil des jours y suffisent – le feu d’un astre, la sueur essentielle d’un autre astre – merveilles… 

 

ALFRED DE MUSSET

On connaît le propos de Musset : Qu’importe la maîtresse Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Bien sûr, ce n’est pas de vin qu’il est ici question, mais d' »amour »… et on peut en effet penser que le grand poète romantique a heureusement écrit bien d’autres choses à propos des femmes.

Des femmes et… du vin par exemple. Ecoutez, dans l’acte II des  Caprices de Marianne, Marianne donnant la leçon à Octave. C’est d’un Lacrima Christi qu’il est ici question.

 

LE VIN ROMANTIQUE ?

Je croyais qu’il en était du vin comme des femmes. Une femme n’est-elle pas aussi un vase précieux, scellé comme ce flacon de cristal ? Ne renferme-t-elle pas une ivresse grossière ou divine, selon sa force et sa valeur ? Et n’y-a-t-il pas parmi elles le vin du peuple et les larmes du Christ ? Quel misérable cœur est-ce donc que le vôtre, pour que vos lèvres lui fassent la leçon ? Vous ne boiriez pas le vin que boit le peuple ; vous aimez les femmes qu’il aime ; l’esprit généreux et poétique de ce flacon doré, ces sucs merveilleux que la lave du Vésuve a cuvés sous son ardent soleil, vous conduiront chancelant et sans force dans les bras d’une fille de joie ; vous rougiriez de boire un vin grossier ; votre gorge se soulèverait. Ah ! vos lèvres sont délicates, mais votre cœur s’enivre à bon marché… 

 (à suivre)

 

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