… et nous voilà arrivés chez les poètes francs buveurs.
Un homme qui ne boit que de l’eau a un secret à cacher à ses semblables disait encore Baudelaire qui s’y connaissait beaucoup dans la psychologie des adonnés aux paradis artificiels…
Blaise Pascal dont la réputation de parieur était plus affirmée que celle de buveur disait lui les buveurs d’eau ont mauvais caractère…
Est-il besoin de préciser que les poètes dont il va être à présent question n’avaient pas mauvais caractère, qu’ils étaient même de francs buveurs et qu’il n’y aura donc aucun secret honteux dans les pages qui suivent ?
GASTON COUTE
Né sur les bords de Loire au sud de la Beauce, Gaston Couté fut de ces poètes qui tentèrent, dans les premières années du 20ème siècle, de gagner leur vie avec leurs poèmes, dans les cabarets parisiens. Certes, à peu près à la même époque, Bruant fit fortune sur les mêmes chemins, Rictus en vécut bourgeoisement… Couté lui, disparut en 1911 dans la plus extrême misère.
[audio:http://www.actechanson.fr/wp-content/upload/10-Feu-de-vigne.mp3|titles=10-Feu de vigne]Sur une musique de Jacques Florencie
FEU DE VIGNE
Ils avaient de très belles vignes
Dont le vin loyal et rosé
Etait couleur de leurs baisers ;
Leurs vingt ans furent doux et dignes ;
Puis champ par champ, pièce par pièce,
Dans le sol de pierres à fusil
La vigne est morte de vieillesse
Et le beau temps est mort aussi.
Refrain :
Y’a plus de vin dans le cellier !
Y’a plus d’amour sous l’oreiller !
Mais (jette une souche la vieille !)
Une flamme rose ensoleille
Leur âtre et leur cœur de janvier
L’esprit du bon vin qu’ils révèrent
S’en vient pour eux flamber encor
Parmi le feu de sarments morts
Comme il a flambé dans leurs verres.
Leur passé, sur leurs lèvres blêmes,
Brûle à ne pouvoir préciser
Si ce qui s’envole d’eux-mêmes
Est un mot ou bien un baiser.
Refrain
Devant la flamme enchanteresse
Le vieux buveur qui ne boit plus
Sent, parmi ses membres perclus,
Couler les douceurs de l’ivresse ;
Et la vieille dont la pensée
S’échauffe au feu du souvenir
Sent battre en sa poitrine usée
L’amour qui ne veut pas mourir.
Refrain
Ils avaient de très belles vignes
Dont le vin loyal et rosé
Etait couleur de leurs baisers ;
Leurs vingt ans furent doux et dignes ;
Et dans l’attente de l’épreuve
Qui doit faire passer un jour
Leur âme en quelque vigne neuve
Au vin clair comme un peu d’amour…
RAOUL PONCHON
Sans le savoir la plupart du temps, tout le monde connaît Raoul Ponchon, ce doux poète natif (1848) de La Roche-sur-Yon, qui lui aussi tenta de vivre de sa poésie, par exemple en commentant l’actualité en vers dans les journaux ou les revues de son époque… Consommateur verlainien de toutes sortes de breuvages, il nous a laissé une oeuvre poétique toute entière vouée au vin, à l’ivresse, dans des livres aux titres très évocateurs : La muse gaillarde, La muse au cabaret.
Raoul Ponchon le premier écrivit : Quand mon verre est plein, je le vide. Quand mon verre est vide je le plains… Presque une philisophie !
[audio:http://www.actechanson.fr/wp-content/upload/05-Si-j-etais-roi.mp3|titles=05-Si j etais roi]
SI J’ETAIS ROI
Dessin de Martin Ziegler
BERNARD DIMEY
Nul ne s’étonnera à présent de trouver parmi ces poètes francs buveurs le nom de Bernard Dimey. Outre d’avoir laissé au coeur du vingtième siècle quelques-unes de ses plus belles chansons (Syracuse créée sur un coin de table avec Henri Salvador, mais aussi Mon truc en plumes cher à Zizi Jammaire, ou encore Mémère immortalisée par Michel Simon) il fut aussi l’auteur d’une oeuvre poétique toute d’émotion et toute entière vouée à la nostalgie et à l’ivrognerie, montrant qu’au coeur de toute chose il y a l’homme et la vie.
[audio:http://www.actechanson.fr/wp-content/upload/07-Ivrogne.mp3|titles=07-Ivrogne]
IVROGNE
Ivrogne, c’est un mot qui nous vient de province
Et qui ne veut rien dire à Tulle ou Châteauroux
Mais au cœur de Paris je connais quelques princes
Qui sont selon les heures archange ou loup-garou
L’ivresse n’est jamais qu’un bonheur de rencontre
Ça dure une heure ou deux ça vaut ce que ça vaut
Qu’il soit minuit passé ou cinq heures à ma montre
Je ne sais plus monter que sur mes grands chevaux
Ivrogne ça veut dire un peu de ma jeunesse
Un peu de mes trente ans pour une île au trésor
Et c’est entre Pigalle et la rue des Abbesses
Que je ressuscitais quand j’étais ivre mort
J’avais dans le regard des feux inexplicables
Et je disais des mots cent fois plus grands que moi
Je pouvais bien finir ma soirée sous la table
Ce naufrage après tout ne concernait que moi
Ivrogne c’est un mot que ni les dictionnaires
Ni les intellectuels ni les gens du gratin
Ne comprendront jamais… c’est un mot de misère
Qui ressemble à de l’or à cinq heures du matin
Ivrogne… et pourquoi pas ? Je connais cent fois pire
Ceux qui ne boivent pas qui baisent par hasard
Qui sont moches en troupeau et qui n’ont rien à dire
Venez boire avec moi… On s’ennuiera plus tard.
LA TAMISE
Voici bientôt vingt ans que je me beaujolise
Dans tous les mauvais lieux ouverts après minuit.
Je commence à pencher comme la Tour de Pise,
Je m’accoude au Pont Neuf… La Seine va sans bruit
Et je dis au clochard : « Tu vois… C’est la Tamise… ! »
Alors on va s’asseoir, on fouille un peu ses poches,
On parle d’Henri IV et d’un certain troquet
Qui reste ouvert la nuit et qui n’est pas trop moche
A cinq ou six cents mètres par là sur les quais,
Et l’on a le cœur pur comme un cristal de roche.
Le désir impérieux de raconter sa vie,
Son servic’ militaire, ses embarras d’argent,
Son besoin d’amitié, la jeunesse… partie…
La connerie surtout de la plupart des gens,
Le rouquin renversé et que la manche essuie…
Alors on se relève, on longe des murailles,
On s’en va jusqu’au Louvre et jusqu’à l’Opéra,
On a la jambe molle et la voix qui s’éraille…
On va retourner boire !… Lequel des deux paiera ?
On a l’œil un peu vague et le sang qui se caille…
A sept heur’s du matin, au métro Pyramides
Un loufiat mal luné met ses tables dehors.
On dit n’importe quoi… J’ai les yeux tout humides,
Mon copain de la nuit a l’air d’être ivre-mort ;
Je le laisse tout seul achever son suicide…
Voici bientôt vingt ans, peut être davantage,
Que je fais le guignol à n’importe quel prix
Entre le délirium, la sagesse et la rage.
Revenez donc me voir quand vous aurez compris
Et ne condamnez rien avant d’avoir mon âge.
Beaucoup se vantent d’avoir connu Bernard Dimey et d’avoir partagé avec lui quelques-unes de ses longues plongées au fin fond de l’ivresse où il trouvait nécessairement la source de ses inspirations… On me permettra de douter d’une telle nécessité. L’oeuvre il est vrai y puise une sorte de noblesse un peu perverse, mais elle n’avait décidément pas besoin de ça.
(à suivre)
Elle passait devant un antiquaire. Geneviève songeait aux bibelots de son salon comme à des pièges pour le soleil. Tout ce qui retient la lumière lui plaisait, tout ce qui émerge, bien éclairé, à la surface. Elle s’arrêta pour savourer dans ce cristal un sourire silencieux;
celui qui luit aux bons vieux vins.
Elle mêlait, dans sa conscience fatiguée, lumière, santé, certitude de vivre et désira pour cette chambre d’enfant fuyant, ce reflet posé comme un clou d’or.
Antoine de St Exupéry :Courrier Sud
Merci Jacques ! On va finir par devenir un blog « citoyen » où les informations seront échangées. Super ! J.P.