CHARLES BAUDELAIRE
Parmi les grands poètes classiques (je veux dire ceux dont l’oeuvre ne tourne pas exclusivement autour du vin), Charles Baudelaire est sans doute celui qui a consacré le plus de pages au divin breuvage (… et parfois aussi au haschich, mais c’est une autre histoire). Plusieurs de ses livres, tels Les Paradis artificiels, nous offrent de pleins chapitres sur le sujet, où le poète exerce superbement son art.
Dans Les Fleurs du mal il y consacre plusieurs poèmes dont Le Vin du solitaire mais aussi Le Vin des amants que chante Gilbert Maurin.
[audio:http://www.actechanson.fr/wp-content/upload/Gilbert-Maurin-Le-Vin-des-amants.mp3|titles=Gilbert Maurin – Le Vin des amants]LE VIN DU SOLITAIRE
Le regard singulier d’une femme galante
Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc
Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant
Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante
Le dernier sac d’écus dans les doigts d’un joueur
Un baiser libertin de la belle Adeline
Les sons d’une musique énervante et câline
Semblable aux cris lointains de l’humaine douleur
Tout cela ne vaut pas ô bouteille profonde
Les baumes pénétrants que ta panse féconde
Garde au cœur altéré du poète pieu
Tu lui verses l’espoir la jeunesse et la vie
Et l’orgueil ce trésor de toute gueuserie
Qui nous rend triomphants et semblables aux dieux
[audio:http://www.actechanson.fr/wp-content/upload/Jacques-Palliès-Le-vin-du-solitaire.mp3|titles=Jacques Palliès – Le vin du solitaire]
ENIVREZ-VOUS
J’entends encore la voix de Serge Reggiani criant ce poème.
Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et, si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit , à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : « Il est l’heure de s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise ! »
Dans son célèbre essai sur le poète, Jean-Paul Sartre écrit : L’attitude originelle de Baudelaire est celle d’un homme penché. Penché sur soi, comme Narcisse…
J’ajouterais : et comme Narcisse, toujours prêt à tomber, se noyer, pourvu qu’en effet il en eut conscience. Car, ajoute Sartre : Baudelaire est l’homme qui ne s’oublie jamais. Il se regarde voir; il regarde pour se voir regarder.
En vérité ce regard, comme le montrent les extraits qui suivent est souvent admirable.
PROFONDES JOIES DU VIN…
Profondes joies du vin, qui ne vous a connues ? Quiconque a eu un remord à apaiser, un souvenir à évoquer, une douleur à noyer, un château en Espagne à bâtir, tous enfin vous ont invoqué, dieu mystérieux caché dans les fibres de la vigne. Qu’ils sont grands les spectacles du vin illuminés par le soleil intérieur ! Quelle est vraie et brûlante cette seconde jeunesse que l’homme puise en lui !…
… NOTRE EGAL ?
Le vin est semblable à l’homme : on ne saura jamais jusqu’à quel point on peut l’estimer et le mépriser, l’aimer et le haïr, ni de combien d’actions sublimes ou de forfaits monstrueux il est capable. Ne soyons donc pas plus cruels envers lui qu’envers nous-mêmes, et traitons-le comme notre égal !
… En votre âme et conscience, juges, législateurs, hommes du monde, dites, qui de vous aura le courage impitoyable de condamner l’homme qui boit du génie ?
GUILLAUME APOLLINAIRE
« Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers » écrivait Guillaume Apollinaire à qui cette consommation universelle ne déplaisait pas… comme elle ne déplaisait pas à Baudelaire, à Verlaine et tant d’autres. Connaît-on d’ailleurs des poètes de l’abstinence et de l’eau claire ? Des musiciens de la privation et de la retenue ?
Soyons clairs : faire l’apologie de l’ivrognerie et de l’ivresse permanente, donner l’alcoolisme et la cirrhose comme objectifs ultimes à la vie, est évidemment très loin d’être notre propos. Nous voulons seulement rendre compte des beautés magiques que les poètes – seuls ! – ont puisé dans le vin, transcris dans leurs œuvres et partagé avec le monde telle une offrande posée sur le bord d’un abîme…
NUIT RHENANE
Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme
Ecoutez la chanson lente d’un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds
Debout chantez plus haut en dansant une ronde
Que je n’entende plus le chant du batelier
Et mettez près de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliées
Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent
Tout l’or des nuits tombe en tremblant s’y refléter
La voix chante toujours à en râle-mourir
Ces fées aux cheveux d’or qui incantent l’été
Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire
[audio:http://www.actechanson.fr/wp-content/upload/Jacques-Palliès-Nuit-rhénane.mp3|titles=Jacques Palliès – Nuit rhénane]