Depuis toujours le vin a inspiré les poètes.
LES NOCES DE CANA
Quand on consulte la Bible sur internet, le site « officiel » indique que le mot « vin » apparaît 176 fois sur l’ensemble du Livre (Ancien et Nouveau Testament). Le moins que puisse en dire un profane tel que moi est que les citations y sont plutôt contradictoires, saluant ici le « vin qui réjouit le cœur de l’homme », exaltant là « le vin de l’ardente colère du Dieu tout puissant »… Qui a raison au royaume de Dieu ? L’éclésiaste qui reconnaît que « le vin rend la vie joyeuse » ? ou Luc qui recommande de ne boire « ni vin, ni liqueur enivrante » ? Les Ephésiens qui affirment « Ne buvez pas de vin; c’est de la débauche » ou Jérémie qui ne cesse de conseiller « Buvez du vin. » ? Heureusement il y a la poésie… Miracle !
Les noces de Cana par Paul Véronèse
« Le troisième jour, il y eut une noce à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi fut invité à la noce ainsi que ses disciples. Le vin venant à manquer, la mère de Jésus lui dit » Ils n’ont pas de vin ». Jésus lui dit » Que me veux-tu, femme ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit aux serviteurs : « Faites ce qu’il vous dira ».
Or il y avait là six jarres de pierre, pour les purifications des Juifs, contenant chacune deux ou trois mesures. Jésus dit aux serviteurs : « Remplissez d’eau ces jarres ». Ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : » Puisez maintenant et portez-en au maître d’hôtel. » Ils lui en portèrent. Quand le maître d’hôtel eut goûté l’eau devenue du vin – il en ignorait la provenance, mais les serveurs la savaient, eux qui avait puisé l’eau – il appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert d’abord le bon vin et, quand les gens sont ivres, alors le moins bon ; toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent . » Tel fut le commencement des signes de Jésus ; c’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui ». (Evangile selon Saint Jean, 2,1-11).
L’ART D’AIMER ET… DE BOIRE
Le vin et les religions ont presque toujours fait bon ménage… Vertus euphorisantes obligent sans doute !
Toutes les grandes civilisations, de même. Chez les Phéniciens, les Grecs, les Romains, le vin est partout présent ; les images de libations, de fêtes, débordent sur les ustensiles de la boisson, sur les parois des vases, des amphores, des coupes,… Chez les Egyptiens aussi dont Bernard Pivot note les larges dévotions à un jus de la treille évidemment venu d’ailleurs. Ainsi précise-t-il que dans la tombe du roi Scorpion à Abydos on découvrit quelques 700 jarres représentant 4500 litres d’un vin importé de Palestine…
Car il n’est bien sûr pas que la religion pour, depuis toujours ou presque et sous tous les cieux, susciter la célébration du vin. Dans toutes les littératures antiques, il est présent et bien présent. Ainsi Pétrone, l’auteur du Satyricon, l’arbitre des élégances du temps de Néron, affirmait : « L’eau nous liquéfie le cœur un peu plus chaque jour, mais quand je me suis enfilé une bolée de vin au miel j’envoie le froid se faire foutre. »
Et puis relisez Ovide, le très étonnant Ovide quand on sait que l’Art d’aimer date du début de l’ère chrétienne… Quant à Athénée, c’est un chroniqueur du 3ème siècle, auteur du Banquet des Sophistes.
Quelle est la juste mesure à conserver en buvant ? Nous allons te l’indiquer. Que ton intelligence et tes pieds restent à même de remplir leur office. Evite surtout les discussions qu’anime le vin et la trop grande propension aux combats cruels. Eurytion périt pour avoir bu sans mesure les vins qu’on lui offrait : combien mieux la table et le vin se prêtent-ils à d’agréables passe-temps. Si tu as de la voix, chante ; si tes bras sont gracieux, danse ; si tu as d’autres moyens de plaire, plais. L’ivresse, si elle est véritable, te fera tort ; si elle est feinte, elle peut t’être utile. Tâche que ta langue artificieusement prononce en hésitant des mots balbutiés, pour que toutes tes actions ou tes paroles un peu hardies soient attribuées à des libations trop copieuses… (Ovide – L’Art d’aimer – Le Livre de Poche)
PROPOS DE TABLE
Je ne prépare que trois cratères aux gens sensés : l’un de santé, celui qu’ils boivent le premier, le deuxième d’amour et de plaisir, le troisième de sommeil ; celui-ci bu, ceux qu’on appelle les sages rentrent chez eux. Le quatrième n’est plus nôtre, il est à l’insolence, le cinquième aux cris, le sixième aux railleries, le septième aux yeux pochés, le huitième à l’huissier, le neuvième à la bile, le dixième à la folie, c’est celui-là qui fait trébucher. (Athénée – cité par Gilbert Garrier – Histoire sociale et culturelle du vin)
CHEZ LES POETES CHINOIS
Chez les poètes chinois que j’ai également longuement étudiés pour préparer ce voyage en compagnie de la Dive Bouteille, c’est le vin de raisin qu’on célébrait avec emphase. Ainsi Sine Kieu écrivait bien avant l’an mille : « Après boire on oublie que le ciel est au-dessus de l’eau, un plein bateau de rêves purs traverse la voie lactée. »
Et son collègue Du Fu renchérissait à peu près à la même époque : « Il faut cinq grandes mesures à Chiao Sui pour porter sa verve à son comble, mais il devient alors d’une éloquence à jeter ses convives dans la stupeur. » Ah ! L’éloquence !
Mais voici deux poèmes de Li Po (701 – 761), par excellence le poète de l’ivresse disent de lui les spécialistes de la poésie chinoise, un des huit immortels du vin d’après Du Fu ! Pour avoir lu quelques uns de ses poèmes, je veux bien le croire.
BUVANT SEUL SOUS LA LUNE
un pichet de vin au milieu des fleurs,
je bois seul, sans compagnon
levant ma coupe je convie la lune claire
avec mon ombre nous voilà trois
la lune hélas ! ne sait pas boire,
et mon ombre ne fait que me suivre
compagnes d’un moment, lune et ombre,
réjouissons-nous, profitons du printemps
je chante, la lune musarde
je danse, mon ombre s’égare
encore sobres, ensemble nous nous égayons
ivres, chacun s’en retourne
mais notre union est éternelle, notre amitié sans limite
sur le fleuve céleste là-haut nous nous retrouverons
DEVANT LE VIN
du vin de raisin,
dans des coupes en or
une belle Wu de quinze ans, sur un cheval nain,
ses sourcils peints d’indigo, ses bottes de brocart rouge
elle trébuche sur les mots, mais espiègle chante
au banquet raffiné, ivre elle se serre contre moi
« derrière la tenture aux nénuphars, je ne pourrai te résister »
EN AMERIQUE LATINE
Il semble que tous les écrivains d’Amérique latine ont célébré le vin et ses diverses vertus… Et avec quelle verve ! Ecoutez par exemple ce chant de Pablo Neruda, le grand poète chilien victime d’un Pinochet.
ODE AU VIN
Vin couleur de jour,
Vin couleur de nuit,
Vin à pieds de pourpre ou sang de topaze,
Vin, fils étoilé de la terre,
Vin lisse comme une épée d’or,
Suave comme un velours froissé,
Vin enroulé comme une conque et suspendu,
Amoureux, marin,
Tu n’as jamais tenu dans un verre,
Dans un chant, dans un homme,
Corail, tu es partout,
Et dans l’intime aussi.
Tu te nourris parfois de mortels souvenirs,
Nous allons, sur ta vague, de tombe en tombe,
Tailleur de pierre de sépulcre glacé,
Et pleurons des larmes provisoires,
Mais ton bel habit de printemps est différent,
Le cœur grimpe aux branches,
Le vent agite le jour,
Rien ne reste dans ton âme immobile.
Le vin excite le printemps,
Fait croître la joie comme une plante,
Les murs s’écroulent, et les rochers,
Les abîmes se comblent, le chant naît.
Oh toi, jarre de vin,
Dans le désert avec ma délicieuse aimée,
Disait le vieux poète.
Que la cruche de vin
Au baiser de l’amour ajoute son baiser.
Mon amour, ta hanche tout à coup
Est la courbe pleine de la coupe,
Ta gorge est la grappe,
La lueur de l’alcool ta chevelure,
Les raisins sont la pointe de tes seins,
Ton nombril le sceau pur imprimé
Sur ton ventre de vase,
Et ton amour la cascade d’inextinguibles vins,
La clarté qui illumine mes sens,
La splendeur terrestre de la vie.
Tu n’es pas seulement l’amour,
Baiser brûlant ou cœur brûlé
Tu es, vin de vie,
L’amitié, la transparence,
Le chœur bigarré, l’abondance de fleurs.
J’aime sur une table, quand on parle,
La lueur d’une bouteille de vin intelligent.
Buvez-le, et souvenez-vous qu’en chaque goutte d’or
Ou coupe de topaze, ou cuillèrée de pourpre,
L’automne a travaillé pour remplir de vin ces flacons
Et apprend, homme obscur,
Dans le cérémonial de ton commerce,
à te souvenir de la terre
et de ce qui lui est dû,
et à propager le cantique du fruit.
Pour saluer la mémoire de Pablo Néruda, permettez-moi de vous donner à entendre cette chanson que j’ai composée il y a une quinzaine d’années… Déjà !
[audio:http://www.actechanson.fr/wp-content/upload/08-Jacques-Palliès-Les-pierres-de-Neruda.mp3|titles=08-Jacques Palliès – Les pierres de Neruda]
(à suivre)
Il était une soif… C’est un bon début pour l’année à venir…
S’il vous plaît, pouvez-vous me dire l’origine de la signature de Neruda, ci-dessus?