VIN DES POETES – Episode 21 : Ah ! Boire !

Le temps des chansons continue : quand boire est le lieu de toutes les nostalgies…

Francis LEMARQUE 

« A Paris », « Marjolaine », « Quand un soldat »… tels sont quelques uns des titres de chansons attachés au nom de Francis Lemarque qui – près de dix ans après sa mort – demeure encore un des grands noms de la chanson française.

Dans ses plongées dans la capitale qu’il a chantée mieux que personne, il ne pouvait que s’arrêter dans un de ces multiples bistrots qui accompagnaient alors le Paris populaire.

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AU BAR DU DERNIER VERRE

Au bar du dernier verre, un soir

Que j’étais seul, j’ai cru revoir

Comme à travers un vieux miroir

Tous les amis de ma jeunesse

Aucun ne paraissait me voir

Cette nuit-là, j’ai bu sans cesse

Au bar du dernier verre, un soir

Que j’étais seul, j’ai cru revoir

 

{Refrain:}

Amis, buvons

Comme au beau temps

De nos vingt ans

Amis, buvons

Comme naguère

Si l’un seul de vous m’est rendu

Rien n’est perdu

Amis, buvons

Un dernier verre

Amis, buvons 

J’ai bu jusqu’au petit matin

A leur santé, d’un air lointain

Le miroir n’avait plus de tain

Ils semblaient m’attendre derrière

Et souriaient d’un air lointain

Pour chacun, j’ai levé mon verre

Buvant jusqu’au petit matin

A leur santé, d’un air lointain

{au Refrain} 

Peut-être bien qu’ils étaient morts

Il pleuvait doucement dehors

Et j’emportais comme un remords

Ma solitude et ma misère

Quand j’ai laissé mes amis morts

Ce soir, au bar du dernier verre

Il pleuvait doucement dehors

Et j’emportais comme un remords

{au Refrain} 

Mes amis, je vois le temps

De nos vingt ans

Glisser dans l’ombre et la poussière

Aucun de vous ne m’est rendu

Tout est perdu

Mais je veux boire encore un verre

Le dernier verre

Au temps perdu

Au temps perdu

 

Claude NOUGARO

Quelle étrange chanson que cet impossible hommage à un clochard, même pas céleste, et dont le vin, l’impossible pinard-vinasse que nous ne connaissons plus, accompagne la déchéance !

L’ivresse a souvent été présente dans les chansons de Claude Nougaro – on se souvient bien sûr de « Je suis saoul » – mais rarement (et aussi violemment) autant que dans ce pauvre Clodi Clodo où elle atteint un tel degré de destruction, presque d’inhumanité…

Permettez-moi de ne pas me demander pourquoi et de considérer cette chanson passant dans ces pages comme les Grecs, au milieu des orgies, faisaient apporter un cadavre : pour ne pas oublier la condition humaine ! 

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CLODI CLODO

Litron dans la poche, traînant la galoche
Voici que s’approche le clodo
Tous les quinze mètres, minute, il s’arrête
Pour visser sa tête à son goulot
Sur un banc bien stable de l’avenue Junot
Il se met à table, sort son livarot
Et malheur aux mouches, qui ont l’eau à la bouche
Il fait toujours mouche, il les tue d’un rot
Clodi Clodo

Ensuite il allonge sa carcasse et plonge
Plein comme l’éponge l’est de l’eau
Dans une ronflette avec sa liquette
Hors de sa braguette anti-porno
Car pour lui le sexe, c’est plus qu’un tuyau
Fait pour qu’on déverse du champagne chaud
Car pour lui, la femme, c’est plus au programme
De sa vie d’infâme chiqueur de mégots
Clodi Clodo

A part cette garce, harnachée de crasse
Dont la seule grâce, le seul joyau
C’est qu’elle semble faite pour payer les fêtes,
Sauciflard, baguette, tord-boyaux
Parfois il l’entraîne voir couler le flot
Du fleuve la Seine au pont Mirabeau
Quand la lune, jaune camembert, se donne
Ses airs de madone d’avant Apollo
Clodi Clodo

Soyons bonne poire, versons un pourboire
Dans la patte noire du clodo
Pendant que tout foire, lui sur la mer Noire
De son rouge pinard, ho hisse et ho
Il craque et titube comme un vieux rafiot
En gueulant un tube de tuberculo
Litron dans la fouille, traînant sa gadouille
Il part en quenouille dans l’avenue Junot
Clodi Clodo
Clodi Clodo

 

 JULIETTE 

Je me souviens de la première fois où j’entendis Juliette : nous étions douze dans une toute petite salle de Montpellier et c’était… fascinant !

Quelques centaines de milliers de spectateurs après, elle est toujours l’une des plus étonnantes chanteuses d’aujourd’hui, et aucun sujet ne lui est étranger : surtout pas le vin

 !

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L’ETOILE ROUGE

Au bar de l’Étoile Rouge
Il y a bien longtemps
Je servais des canons de rouge
Aux potes à maman
Ça s’enivrait à la gloire
Du kir et des communards
Rêvant du Grand Soir
Je m’souviens de Vassiliev
Parti en dix-sept à Kiev
Donner vie au rêve
Pauvre moujik qui, autrefois,
N’possédais pas même tes mains
Il ne te resta qu’un bras
Au moins, c’était le tien

Gais rossignols
Cerises et carmagnoles
Quels choeurs, quels luths
Rechanteront ces luttes
Pour ressusciter les Rouges
Du bar de l’Étoile Rouge ?

C’est en trente-six que Pablo
S’en alla bâtir
L’avenir et les châteaux
Sur l’Guadalquivir
Il tomba sous la mitraille
En braillant à plein poitrail
« Ay Carmela ay ! »
Puis Anna chez Benito
A fait changer le tempo
Ô bella ciao, ciao, ciao !
L’hymne eut raison de l’idole
Bottes en l’air et nez au sol
Mais toutes ces cabrioles
Rendirent Anna folle

Et mon index
Trempé dans le Jerez
Sur le mur blanc
Traça « No pasaran »
En hommage à tous les Rouges
Du bar de l’Étoile Rouge

Au bar de l’Étoile Rouge
Reste plus que moi
Une vieille que les canons d’rouge
Ne mettent plus en joie
Il y a toujours sur le mur
Écrit le cri des purs et durs
Mais chacun s’en moque
« No pasaran, c’est du passé ! »
Me disent des clients pressés
Faut changer d’époque
Mais même si ce goût de goulag
Dans mon verre en cristal de Prague
M’a tiré des pleurs
L’avenir est-il si radieux
Que l’on oublie celles et ceux
Qui l’ont rêvé meilleur ?

Anna, Pablo,
Vassiliev, de là-haut
De tout là-haut
Prév’nez vos petits frères
Que le bar
Même tard
Restera ouvert

 

Anne SYLVESTRE

Bourguignonne, comme Colette, Anne Sylvestre (que l’on appelait alors la « Brassens en jupons ») a manifestement sacrifié avec plaisir et connivence au rite de la chanson sur le thème du vin.

Nous n’étions alors il est vrai qu’au milieu des années 60 et on pouvait, sans crainte de la maréchaussée, avouer sa passion pour la dive bouteille… Déjà elle écrivait : Je m’effraye qu’on ne sache plus, merveille, boire un coup… Que dirait-elle aujourd’hui ? Peut-être après tout qu’on ne connaît guère de poète ou de chansonnier qui ait revendiqué d’être sponsorisé par le Ministère de la Santé…

Heureusement !

COMME MON GRAND-PERE LOUIS

Comme mon grand-père Louis

Saluant d’un chapeau digne

Ses arpents de pieds de vigne

Reconnaissant, ébloui

Comme mon grand-père qui 

Devant un crû de Bourgogne

Se découvrait sans vergogne

Avec le sérieux requis

Je voudrais modestement

Esquisser quoiqu’on en pense

La petite révérence

Que m’apprirent mes parents

Car bien que je ne sois vieille

Que de trente et pas beaucoup

Quand j’y pense, je m’effraye

Qu’on ne sache plus, merveille,

Boire un coup !

 

Comme mon grand-père Louis

Composant avec science

De subtiles alliances

Entre Pommard et Rôti

Comme mon grand-père qui

Ne recevait à sa table

Que de vrais buveurs capables

Que des gosiers aguerris

Je voudrais pieusement

Rappeler qu’en mon enfance

Je m’y tenais vaillamment

Car…

 

Comme mon grand-père Louis

Faisant creuser dans la pierre

Bien avant sa maison mère

Une cave et ses replis

Comme mon grand-père qui

A nous sa progéniture

Apprit la grande aventure

Des raisins de son pays

Je voudrais à tout venant

Me vanter d’avoir en cave

Deux ou trois bouteilles graves

De riches bourgs triomphants

Car…

 

Comme mon grand-père Louis

Comme Albert à qui je ressemble

Et qui reposent ensemble

Sur la colline fleurie

Où il fit coucher aussi

Pour les côtoyer sous terre

Madeleine et Philibert

Et la très douce Marie

Je voudrais finalement 

M’y coucher un jour, pareille

A une quelconque bouteille

Mais pourtant en attendant

Sans rien avoir d’un ivrogne

Je voudrais qu’on sache enfin

Qu’on peut être de Bourgogne

Qu’on peut aimer sans vergogne

Le bon vin

Car…

(à suivre)

Une pensée sur “VIN DES POETES – Episode 21 : Ah ! Boire !”

  1. La Red Star, pas la PSG…
    La Marraine du Festival Montpellier Temps Chante : Juliette

    Enfin une manifestation ambitieuse et décalée !
    C’est avec plaisir et honneur que je soutiens cette initiative
    amoureuse de chansons, de chanteuses et de chanteurs,
    de «petits lieux» et de grandes ambitions!
    En avant toute !»
    bises
    Juliette

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